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Rencontre avec Julien, Hedi et Thami, les trois Français à l'origine du clip de Poster Child ! par Paul Mougeot le 2022-03-09 08:30:03

 

Deuxième extrait d'Unlimited Love, le prochain album des Red Hot Chili Peppers, le clip de Poster Child en a ravi·e plus d'un·e avec son esthétique vintage à la patte artistique particulièrement léchée. RHCPFrance a rencontré pour vous les trois artistes français qui se cachent derrière la création de ce clip, Thami, Julien et Hedi.

 

 

RHCPFrance : Salut les gars, est-ce que vous pouvez vous présenter pour celles et ceux qui ne vous connaîtraient pas ?

 

Julien : Thami et Hedi sont frères et à l’origine, on est juste trois potes. On est tous les trois dans les arts visuels. Moi, je m’inscris dans le paysage de l’art contemporain. Je fais de l’illustration mais aussi de la peinture et de la céramique, ce qui est peut-être moins le cas d’Hedi et Thami qui sont plus spécifiquement dans le dessin. On s’est rencontré par ce biais, j’ai commencé à travailler avec Thami sur d’autres projets d’animation, Hedi bossait aussi avec son frère sur d’autres projets de son côté, et on a décidé de réunir nos forces pour faire un truc à trois sur ce clip.

 

Hedi : C'est ça : chacun de notre côté on avait travaillé avec Thami auparavant et les duos sont devenus un trio pour parvenir à boucler ce projet qui était particulièrement ambitieux.



R : Quels ont été vos projets principaux jusqu’ici ? Sur quoi avez-vous bossé dernièrement ?

 

H : Récemment, on a bossé sur un dessin animé avec mon frère. C'est aussi un clip, en fait. On espère que ça va sortir bientôt !

 

J : De mon côté, j’ai bossé cet été sur un clip pour BASECK, un artiste du label Evar Records à Los Angeles, qui devrait sortir au printemps. C’est par ce biais qu’on a eu le contact pour le clip des Red Hot Chili Peppers.

 

 

R : Vous avez donc animé le clip de Poster Child, le deuxième extrait du prochain album des Red Hot Chili Peppers. Comment en êtes-vous arrivés là ?

 

J : C'est arrivé à cause de notre impatience, en fait. J’ai un peu secoué la personne qui gère le label à Los Angeles parce que le clip ne sortait pas. Je la relançais souvent en lui expliquant que ce serait bien qu’il sorte rapidement parce que dans nos réalités d’artistes, on a besoin que ça sorte vite pour pouvoir activer d’autres projets, etc… Un beau jour, elle me contacte pour m’expliquer que le clip ne va toujours pas sortir, mais qu’elle a l’occasion de le montrer au management des Red Hot Chili Peppers et qu’ils sont intéressés pour leur nouveau clip. Sur le moment, on est content, mais elle m’annonce que le rendu aurait lieu dans trois semaines. Les délais sont fous ! C’était vraiment de la dernière minute, ça s’est passé il y a un mois quoi.

 

En premier lieu ça m’a paru complètement impossible, surtout au vu de la durée de la musique et de notre condition : on n’a pas de structure, on est des indépendants... Je connais les réalités du métier ! Après discussion avec Thami, on s’est dit qu’il fallait qu’on prenne Hedi avec nous. Au début, c’était pour avoir une béquille et puis on s’est dit logiquement qu’il allait devenir un collaborateur du projet à part entière. Il a une identité artistique forte et il a animé autant que nous, finalement. Donc c’est comme ça que le duo est devenu un trio.

 

 

R : Quel était le brief de départ du groupe concernant ce clip ?

 

J : On a eu complètement carte blanche. Le label souhaitait simplement une esthétique qui rappelait Los Angeles, avec des influences comme Les Princes de la Ville et toute cette culture des années 90. On avait déjà fait un clip un peu dans cette veine-là, pour lequel on avait reçu un moodboard, et qui leur avait plu.

 

La seule consigne, c’était de faire quelque chose de moins identitaire cette fois, quelque chose qui se rapprochait plus de la vision de Los Angeles des années 90, avec la culture skateboard, surf… À part ça, on était complètement libre de faire ce qu’on voulait.

 

H : En général, pour l’animation, si tu as vraiment le temps, tu vas prendre trois semaines ou un mois pour réfléchir et poser les choses. Là, c’est Thami qui s’en est chargé : il a constitué un petit deck d’images et de références, mais dans un temps très réduit. Après, à titre personnel, je me suis calé sur leurs styles parce qu’ils se combinent bien. On n'avait pas de temps à perdre, il a fallu qu’on se mette à dessiner le jour-même !

 

J : C’est une manière de travailler qui est hyper chaotique et hyper fluide en même temps : on ne peut rien écrire, il n’y a pas de scénario possible, on doit aller vite. C’est pour ça que dans le clip, tout est en morphing, en transformation constante. C’est très instinctif dans la manière de créer. On se connaît tous très bien, c’était un gros avantage. On connaît nos points forts, nos références, nos esthétiques… 

 

H : On a un socle commun de références, on peut se comprendre en quelques images. Il y a des axes forts qu’on a en tête, et c’est le reflet de tout ça qu’on doit exprimer ensuite, en essayant de refléter aussi la vision du groupe et sa musique.



R : Jusqu’ici, justement, quel était votre rapport avec le groupe et sa musique ? 

 

J : Ça reste une référence pour nous, on aime bien leur musique. On a grandi avec leurs tubes et on les respecte. Après, aucun de nous n’est fan du groupe ou ne l’écoute quotidiennement. Mais on était fier que ce soit un groupe de référence comme celui-ci qui s’intéresse au type d’imagerie qu’on propose, qui est un peu issu d’un monde de niche, celui de la micro-édition, du graffiti… C’est un honneur de pouvoir faire cette passerelle entre un milieu assez mainstream et un milieu plus underground - même si c'est un mot qu'on n'aime pas trop. Par le passé, la culture populaire digérait et se réappropriait des esthétiques dites plus underground. Aujourd’hui, grâce à Internet, les acteurs de ces domaines-là peuvent directement exprimer leur art et le faire connaître au plus grand nombre. On espère que ça peut montrer la voie et ouvrir des portes à plein de jeunes qui font des trucs chanmés !



R : Ce n’est pas le morceau le plus facile du groupe en termes de paroles, avec beaucoup de références et d’images dans un texte assez dense. Est-ce que vous avez essayé de lier le clip à la musique à un moment ?

 

H : En fait, au début, on avait dans l’idée d’inclure toutes les références mentionnées par le morceau dans le clip, mais on s’est dit qu’il y en avait beaucoup trop. Donc on a voulu prendre quelques éléments importants pour ne pas tomber dans l’excès, ça aurait été impossible de mettre tout le monde. On a préféré y mettre des références subtiles qu’on ne voit pas forcément au premier coup d’oeil mais qui se remarquent quand on creuse.

 

Il y avait des références qu’on connaissait, d’autres qu’on ne connaissait pas. Il y en a beaucoup qu’on a digérées et qu’on retrouve dans nos dessins malgré nous en fait.

 

J : Oui, c’est ce que j’allais dire. On est traversé en permanence par tout un tas de références populaires, par les arts visuels, les posters, les pochettes d’album, les t-shirts… On va davantage essayer de les retranscrire dans une esthétique plutôt que de les citer directement. On n’a pas voulu reproduire la langue des Rolling Stones ou ce genre de symboles hyper évidents. On a préféré les suggérer par l’esthétique qu’on a choisie, les typographies de comics, les posters… On est des geeks de ces choses-là. Les digérer et les mobiliser au bon moment suffisait à faire citation plutôt que de rester au premier degré.

 

H : C’est l’idée même du Poster Child : l’enfant va ingérer et digérer un certain nombre de références et c’est ce qui va le construire. Ça nous semblait être quelque chose de fort. 

 

 

R : Les fans ont fait remarquer avec malice que la traditionnelle référence à la Californie ne figurait pas dans les paroles des deux premiers morceaux mais vous l’avez ajoutée au début du clip de Poster Child. C’était une demande du groupe ou c’est un clin d’oeil de votre part ?

 

J : C’est moi qui l’ai faite, avec ce mot "Cali" qui sort très rapidement. Même si je ne suis pas fan du groupe, je suis tout de même attentif à leur musique, dont Californication qui est un album de référence dans ma vie, et j’avais remarqué ce détail. En tant qu’auditeur, c’était un petit hommage, une référence à la musique et à cette période en général.

 

H : C’est vrai qu’il passait beaucoup à la radio, on ne pouvait pas le louper celui-là. D’ailleurs j’ai revu le clip de Californication, façon jeu vidéo en animation 3D, et je le trouve vraiment génial. C’est un vrai bon clip. J’y ai aussi fait un mini-clin d’oeil : au moment où le Zeppelin arrive dans le clip, il y a des insectes, c’est une petite référence à la libellule de Californication.

 

 

R : Qu’est-ce que vous avez pensé du morceau quand vous l’avez entendu pour la première fois ?

 

J : Honnêtement, à la première écoute, je ne l’ai pas aimé.

 

H : Après, c’est ce qui est cool. En général, quand tu travailles sur un clip, tu passes tellement de temps à écouter le morceau qu’au début tu l’aimes bien et après tu ne le supportes plus. Là, c’est l’inverse. Je ne l’aimais pas trop non plus quand je l’ai écouté mais maintenant je trouve qu’il passe bien.

 

J : En fait, je ne connais pas le groupe aussi bien que les fans mais connaissant leur énergie, au début, je me suis dit que je ne la retrouvais pas. Et puis au fur et à mesure des écoutes, j’ai compris que c’était plutôt un morceau calme et que notre clip pourrait aider à le comprendre, à lire cette musique.

 

H : Peut-être que le clip aide aussi à passer cette première écoute qui peut être un peu décevante et à donner envie d’y revenir pour creuser un peu et découvrir le morceau en profondeur. On y a mis beaucoup de détails et je pense que ça pousse à y revenir, à y repasser.



R : Une fois que vous avez terminé le clip, comment ça s’est passé ? Est-ce que vous avez échangé avec le groupe ?

 

J : En fait, il n’y a pas eu d’échanges entre le groupe et nous pendant les trois semaines de création du clip. Ils nous ont fait totalement confiance et nous, en retour, on les a gâtés. À l’origine, on devait faire une boucle d’1 minute 30 d’animation parce que ça paraissait impossible de faire 5 minutes d’animation en si peu de temps. Mais en tant qu’artistes, on ne pouvait pas se satisfaire de ça, donc on a tout donné pour réussir à faire 5 minutes. Sauf que ça, ils ne le savaient pas, donc ils étaient ravis !

 

Tout ça, c’est arrivé il y a une semaine à peine, on a rendu le clip à peine quelques jours avant la sortie. Travailler dans l’urgence comme ça, c’est utile parce que ça permet de se rendre compte de ce qu’on est capable de faire ou non, mais c’est vrai que ce n’est pas idéal et que c’est très difficile. On préfère prendre le temps pour réfléchir et faire quelque chose de qualitatif. Là, on y est parvenu au prix de beaucoup d’efforts mais ce n’est pas comme ça qu’on préfère travailler.

 

H : C’est un effort difficile du point de vue de la santé, même ! Mais on s’est aperçu qu’effectivement, ça avait l’air d’être quelque chose de courant aux Etats-Unis. On s’est dit que c’était aussi dû au fait que c’était une collaboration qui n’était pas prévue à l’origine, qui s’est faite en dernière minute sur un coup de coeur artistique.



R : C’était quoi votre journée type pendant la création du clip ?

 

J : C’était 15 heures de dessin par jour ! Ça revient à faire 50 dessins quotidiennement, parce qu’il s’agit vraiment de ça. L'animation, c'est très chronophage. Tu dois toujours penser au dessin d'avant et au dessin d'après pour retomber sur tes pattes.

 

H : Et deux nuits blanches aussi, au moins. Tu te lèves, tu dessines direct ! Le bon côté de cette manière de travailler, comme disait Julien, c’est que tu peux voir tes capacités et tes limites. Mais bon, normalement, on a besoin de plus de temps pour décanter les choses…



R : Est-ce qu’il y a un moment où vous vous êtes dits que vous alliez ne pas y arriver ?

 

J : Franchement, oui. Surtout au début. Après, ça m’arrive souvent de me le dire, mais là c’était particulier. À la fin, aussi, je me suis dit qu’on n’allait pas réussir à faire ce qu’on voulait. J’avais peur de devoir faire des concessions, de ne pas être satisfait du résultat final.

 

H : Dessiner, c’est à l’opposé de ça. On aime bien méditer, rentrer dans le dessin, revenir sur ce qu’on a fait… Là, l’exercice était tout autre. Normalement, je fais 5 secondes d’animation en deux-trois semaines (rires) !

 

J : C’était important pour nous de donner nos tripes pour être fiers du résultat. C’était quelque chose qu’on avait envie de pouvoir montrer à notre entourage, à nos proches.

 

H : Oui, parce qu’on savait qu’avec un groupe aussi connu, tout le monde allait le voir.

 

Thami : On a conscience du statut des Red Hot et le but c'était de tenter de produire une vidéo qui soit à la hauteur du groupe et du public. C'est déroutant de devoir démarrer du jour au lendemain un défi comme celui-là : entre la prise de contact avec la manageuse du groupe et le rendu du clip, il s'est à peine écoulé un mois ! En même temps, on les remercie parce qu'ils ont su nous mettre à l'aise immédiatement et nous ont témoigné de leur confiance, ce qui est très motivant.



R : Vous écoutiez de la musique quand vous dessiniez ?

 

J : À fond !



R : …pas les Red Hot ?

 

H : Non ! (rires) Par contre j’ai regardé pas mal de reportages sur eux pour mieux les connaître. Il y a beaucoup de choses que j’ignorais sur eux, leur jeunesse… Je trouve que ça explique beaucoup de choses dans leur musique.

 

T : Si, tout de même, mais pas uniquement. Forcément, Poster Child, on a dû l'écouter plus d'une centaine de fois et c'était un plaisir de réecouter Californication, Can't Stop, Aeroplane, Under the Bridge, Snow... Les hits, en gros. J'avoue ne pas être un geek des Red Hot !



R : Quel accueil ce clip a-t-il reçu ? Est-ce que vous avez reçu des messages qui vous ont surpris, des messages du monde entier ? 

 

J : Dans l’ensemble, on a reçu des messages très cool. J’essaye d’ailleurs de prendre le temps de répondre à tout le monde mais on en a beaucoup !

 

H : On a reçu des messages du Mexique, par exemple ! Je ne savais pas qu’il y avait une communauté aussi chaude en Amérique du Sud ! C’est génial que les mecs aillent s’intéresser à notre travail, qu’ils ne soient pas simplement dans la consommation, qu’ils aient eu envie de creuser plus profondément. 



R : Est-ce que vous avez échangé avec le groupe depuis la sortie de la vidéo ?

 

T : Anthony Kiedis a tenu à nous faire savoir via sa manageuse qu'il avait aimé le clip et on le remercie pour ça car c'était un vrai soulagement pour nous de le savoir. 

 

H : On a envoyé le clip au groupe le lundi qui a précédé la sortie et leur manageuse nous a tout de suite répondu qu’elle avait kiffé et que les mecs étaient hyper contents. Ils ont tout validé tout de suite, il n’y a pas eu d’allers-retours entre nous. Ça, c’était prévu dès le départ.

 

J : Ça signifie aussi qu’il y avait une relation de confiance entre nous dès le départ, avec une certaine adaptabilité des deux côtés.  

 

T : On espère aussi que cette vidéo trouvera sa place auprès du public et qu'il la fera sienne, ça serait la cerise sur le gâteau.



R : On peut imaginer que cette collaboration va vous ouvrir des perspectives plus grandes encore. Est-ce qu’il y a une collaboration qui vous ferait rêver ?

 

J : Il y en aurait beaucoup… Mais pour satisfaire l’adolescent que j’ai été, je dirais Snoop Dogg. Après, j’ai beaucoup de références musicales, la liste est sans fin. Si des artistes sont intéressés, qu’ils me le fassent savoir ! 

 

J’aurais aussi un projet, c’est de bosser avec des musiciens avec un meilleur équilibre, c’est-à-dire créer une vraie osmose entre l’image et la musique, pas seulement que l’animation soit au service de la musique.

 

H : Je crois que mon but, ce serait ça, ouais. Trouver une osmose avec un artiste, un peu à la manière de Miyazaki, être dans un échange total.



R : Pour terminer, petite question plaisir : quel est votre morceau préféré du groupe ?

 

J : Je dirais Snow ou Californication


H : Pareil, Californication pour moi. Après, j’ai pas tout étudié non plus (rires) !

 



Rencontre avec Julien, Hedi et Thami, les trois Français à l'origine du clip de Poster Child !